Résumés des communications par auteur > Agbessi Akpéné Délalom

Dire le déchet dans les œuvres littéraires et cinématographiques francophones africaines : entre rejet et récupération
Akpéné Délalom Agbessi  1@  
1 : Université de Kara  (UK)  -  Site web

La présente réflexion se propose de montrer comment le regard porté sur le déchet varie selon qu'il s'agit du roman ou du cinéma dans l'espace francophone africain. Les déchets dans les romans apparaissent comme le résultat d'une civilisation qui a du mal à gérer ce qu'elle génère. Les lieux du déchet, dépotoirs, bidonvilles, etc., sont occupés par des marginaux, des « individus-épaves », des « individus-déchets » qui conçoivent le déchet comme faisant partie de leur environnement et définissant leur identité. Le déchet est aussi symbole de l'injustice sociale, le fait de subir la loi du plus fort, car ce ne sont pas ceux qui vivent sur ces lieux qui en produisent la plus grande partie mais surtout ceux qui vivent dans le confort. Par contre, dans les œuvres cinématographiques, qui sont en réalité des films documentaires sur des acteurs de gestion des déchets, le regard est différent. Le déchet est perçu comme une richesse et donc mérite une deuxième vie.

Né dans un contexte socio-historique complexe marqué par l'anticolonialisme, les indépendances avec leurs lueurs d'espoir et leurres, les crises socio-politiques, le roman francophone africain va, pas à pas, chercher à s'affranchir de ce destin collectif. A partir des années 1990 et surtout 2000, il se positionne comme une aventure intimiste où « se dire ne va pas sans dire l'autre, tout opposé qu'il soit » (Bisanswa, 2003 : 33). Force donc est de constater que de plus en plus de romans de la dernière décennie s'intéressent à l'Africain moderne, dans son vécu et dans ses rapports au lieu, tant l' « ici » que l' « ailleurs ». Rapports distanciés, souvent conflictuels mais aussi fantasmés qu'il entretient avec son environnement. Par conséquent, les trois romans qui seront analysés dans cette étude accordent une place prépondérante au lieu, à l'espace. Ils problématisent la complexité des conditions de vie de l'homme africain par la déliquescence de son environnement, où l'individu, tout comme le déchet est rejeté, abandonné, voué à une disparition progressive. Décrire, représenter les lieux du déchet devient alors le moyen de mettre en scène dans la fiction des enjeux sociétaux.

Le paradis des chiots (2006) explore les bas-fonds de la société, révèle la face cachée du développement des villes. Ainsi, le narrateur amène le lecteur dans le bidonville et l'oblige à regarder avec lui les lieux du déchet, le fond des caniveaux ainsi que les eaux visqueuses et les miasmes qui s'y trouvent, à sentir avec lui les odeurs nauséabondes et pestilentielles qui s'y dégagent. Dans African psycho (2003), s'enchaînent des histoires de vies délabrées, décousues évoluant dans un environnement géographique, politique aussi délabré qui n'offre aucune perspective pour les individus que la disparition progressive, leur dégénérescence. Dans Ténèbres à midi (2010) faire surgir le déchet dans un lieu où il ne devrait pas apparaitre participe de l'ironie, et devient le moyen de montrer les défaillances de tout un système politique.

Du côté du cinéma africain, notons qu'il est plus jeune que le roman africain. Mais en tant qu'art de l'espace par excellence, il « reproduit de façon assez réaliste l'espace matériel » même si « en outre il crée un espace esthétique absolument spécifique » (Martin, 2001 : 240-241). Alors les deux films retenus pour cette étude mettent en scène des individus qui récupèrent ce qui est rejeté afin de lui donner une seconde vie. Mbeubeus, le terreau de l'espoir (2014) montre des individus vivant sur le plus grand dépotoir de la ville de Dakar au Sénégal et qui essaient de survivre à partir des objets récupérés. Dans L'Or...dure (2017), il est question des acteurs de la société togolaise qui récupèrent les déchets et les transforment en des objets utiles à d'autres fins.

Cette réflexion vise deux objectifs. Le premier est de montrer, à partir de l'exploration d'un certain nombre d'œuvres romanesques et cinématographiques francophones africaines comment l'écriture du déchet devient une approche récurrente et un moyen de problématiser les rapports que les individus entretiennent avec leur environnement. Le deuxième consiste à analyser les procédés formels qui sont mis en œuvre dans cette représentation du déchet.

Le travail que nous nous proposons de faire par cette étude consiste donc à prêter attention à la manière dont le déchet est dit. Les discours des personnages qui vivent sur les lieux du déchet, ceux des acteurs qui s'occupent de la récupération et de la transformation des déchets sont des matériaux sur lesquels nous travaillerons afin de ressortir les rapports qui peuvent se tisser entre les déchets et les individus, selon qu'il s'agit de la littérature ou des acteurs de la société mis en scène par le cinéma.

Bibliographie

Afatchao Anita, 2017, L'Or...dure (Film-documentaire).

Ananissoh Théo, 2010, Ténèbres à midi, Paris, Gallimard.

Mabanckou Alain, 2003, African psycho, Paris, Points.

Tchak Sami, 2006, Le paradis des chiots, Paris, Mercure de France.

Cissé Nicolas Sawalo, 2014, Mbeubeuss, le Terreau de l'Espoir (Long métrage).

 



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