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Argumentaire

Les sciences sociales analysent les processus qui se déploient autour des déchets dans leurs différentes expressions et dynamiques : marqueurs et organisateurs de l’espace (Gouhier 2000; Subremon et Gouvello, 2012 ; Cirelli et Florin, 2015), ressources économiques disputées au centre de jeux et d’enjeux de pouvoir (Medina 1997 ; Bertolini 1990 et 2005 ; Barles, 2005, Cavé 2016), champ d’innovation technique, politique  et sociale (Barbier et Laredo, 1997 ; Gutberlet 2015), miroir de la crainte sociétale du désordre (Douglas, 1966 ; Faure, 1977), emblème de ce que les sociétés considèrent comme répulsif, révulsant et contaminant (Lhuillier et Cochin, 1999), reflet des contradictions d’un modèle de production (Hawkins, 2006 ; Ortar et Anstett, 2017 ; Monsaingeon, 2017, Sing, 2017) et de son rapport à l’environnement et à la nature (Durand, 2010 ; Bahers, 2012). Aussi, le déchet est-il un « fait social total, mais aussi technique, scientifique, anthropologique, corporel et moral, métaphysique et finalement matériel » (Beaune, 1998). En ce sens, le déchet intéresse les sciences sociales qui tentent d'en saisir les spécificités et d'analyser les pratiques, relations, représentations des acteurs dont, en particulier, les « travailleurs des déchets » (Corteel, Le Lay, 2011), à savoir tous ceux qui ont à faire avec les déchets, depuis leur récupération, leur traitement et leur gestion, en intégrant les positions, discours, débats ainsi que les réponses différenciées que ces acteurs apportent aux problématiques liées aux déchets.

 Dans le domaine des études littéraires, les déchets, déjà convoqués dans les préoccupations écocritiques (centrées sur les rapports entre littérature et écologie), se voient aussi consacrer des travaux spécifiques, dont l’ouvrage pionnier de Susan Signe Morrison, The Literature of Waste (2015). Conjointement à cette évolution, la littérature contemporaine porte un intérêt grandissant à cette thématique comme en témoignent deux romans récents parmi d'autres : Le pays où les arbres n’ont pas d’ombre, de Katrina Kalda (2016) ou Les fils conducteurs, de Guillaume Poix (2017). Cette visibilité accrue nous invite à considérer la présence des déchets dans les œuvres de l’extrême contemporain dans une perspective comparée, pouvant mobiliser des analyses incluant toutes les aires géographiques.  Nous envisagerons donc le corpus tant français qu’étranger qui appréhende le rebut comme la face cachée d’un monde capitaliste heureux (DeLillo, Outremonde, 1998) ou associe les lieux et les figures du déchet à des processus de marginalisation sociale. Nous nous intéresserons tant aux œuvres qui placent le déchet au cœur du fonctionnement normal du système consumériste qu’à celles qui envisagent les débris que laissent une catastrophe (Michaël Ferrier, Fukushima, récit d’un désastre, 2012) ou une crise économique (Christos Chryssopoulos, Une lampe entre les dents. Chronique athénienne, 2013). Qu’elles soient documentaires, inscrites dans un cadre réaliste, ou relevant de la littérature d’anticipation, ces œuvres pourront être lues au prisme d’ouvrages relatifs à la place du déchet dans nos sociétés, analysée littéralement (Harpet, 1999) ou comme métaphore de l’exclusion (Bauman, 2006), mais aussi comme corpus premier éclairant précisément ce que la littérature, dans sa spécificité, peut dire de notre relation aux déchets. 

Dans ce contexte, le colloque Au-delà du déchet : littérature et sciences sociales en dialogue prêtera attention à ce que la littérature dit et fait des rebuts et des personnes qui vivent avec, depuis que ceux-ci sont devenus un problème majeur des sociétés contemporaines. Ceci rejoint notamment le « renoncement » à réintégrer les rebuts dans le métabolisme urbain et l’émergence de lieux de stockage ou de flux à grande échelle (Barles, 2010). Plus largement, il veut rendre compte de l'enjeu crucial que les déchets représentent pour nos sociétés en posant l'hypothèse que la littérature, associée à l'analyse des sciences sociales, éclaire et questionne notre rapport au rebut. 

Qu’est-ce que le langage littéraire peut exprimer sur la nature de ce rapport au déchet, que les analyses spatiales, économiques, sociales, ou encore les images, n’auraient pas saisi ? Réciproquement, quels sont les points aveugles de l’imagination littéraire quand on la confronte aux analyses des sciences sociales ? Quelles dimensions du rapport sociétal au déchet la littérature est-elle en mesure d’éclairer par ses propres moyens d’expression et d’analyse ?  Quel est le pouvoir des mots par rapport à celui des images dans l’analyse du déchet et de l’univers qui le constitue ? Comment la fiction permet-elle d’imaginer l’avenir apocalyptique d’un monde effondré ou la réalité ordinaire de la vie dans les débris du capitalisme ? Enfin, en quoi la littérature nous rend-elle sensibles à tout ce qui, du point de vue de l’économie capitaliste et des récits qui la soutiennent, constitue un déchet sans importance ? Peut-elle augurer d’un au-delà du déchet, en valorisant les déchets et les individus précaires qui en ont l’usage, ou en redessinant la frontière entre l’utile et le rebut ? 

Pour répondre à ces questions, ce colloque vise à un réel échange interdisciplinaire, en invitant chercheurs en littérature, en sciences sociales, (histoire, géographie, anthropologie, sociologie, philosophie, etc.) et écrivains à croiser leurs regards sur la représentation littéraire ou visuelle des déchets dans l'extrême contemporain, des années 1970 à nos jours. 

 

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